CORINNE DE BATTISTA

 
 
 

 

Que reste t-il de nos amours ?

Au point de départ du travail de Corinne De Battista il y a le discernement, la distinction, le goût et le plaisir (le besoin également), de découvrir et d’arracher des images au passé. Des photographies de famille, personnelles, d'amateur, tombées dans le domaine public par le simple fait de leur mise à l’encan dans des brocantes ou des marchés aux puces. Des portraits, des photographies de groupe du début du siècle et des années cinquante où l’anonymat du sujet recoupe l’anonymat de l’auteur. Plaisir de l’archive exhumée où se découvre au-delà du cliché, une histoire, un vécu, la palpitation d’une chair vive. La nostalgie ? Pourquoi pas, mais en se départissant d’une supposée innocence du regard au profit de la volonté de capter le temps, de le perpétuer, de lui donner non pas une seconde vie, mais une vie autre. Avec et par la peinture, résolument. En découpant, recadrant le cliché d’origine. En le travaillant sur l’ordinateur pour lui donner le statut de sujet (de modèle) et le traduire sur la toile via l’acrylique et quelquefois le pastel et l’encre. L’image reste lisse, précise, évocatrice, suggestive. Toute profondeur en est bannie, seuls les fonds se révèlent diffus, incertains, aléatoires dans des dominantes grises, pour mieux rendre compte de la présence problématique d’un rêve éveillé, d’un état où la fascination se nourrit du mystère. Le portrait ici se découvre dans sa contradiction entre son ancrage social, historique et son évanescence fantomatique. Tout cela relève donc de l’apparition, du questionnement sur l’entité et l’identité. Qui est qui ? Qui a fait quoi ? Que nous apportent ces visages qui nous parlent de notre propre vie. Autrement dit, la figure dans toutes ses déclinaisons, dans une relation privilégiée avec la fiction. Une narration induite sous-tend le propos pictural. Le regard de la mémoire, la mémoire du regard. « La mémoire des gens d’ici et d’ailleurs. C’est une mémoire souvenir figée dans le temps qui n’a qu’une réalité, celle de l’instant» (Corinne De Battista). Mémoire singulière, mémoire collective, mémoire recomposée, qui se déclinent dans la (re)connaissance, dans la familiarité incertaine, dans la rémanence, dans l’illusion du déjà-vécu... la mémoire comme instrument d’imprécision, écho et source de vies lointaines, inconnues et pourtant familières. On peut même y retrouver l’âme sœur, passer De l’une à l’autre, rencontrer son double, découvrir sa gémellité, et même peindre son autoportrait (Figure, 2012)... Des baisers volés, des rêves mouvants... une recherche du temps perdu qui se perpétue dans l’échange des regards. La réappropriation d’une expérience personnelle vécue en tant que bribe d’une histoire commune. Un fragment, un instant... la pose, la posture avouent l’époque, révèlent l’air du temps et sa fuite irrémédiable. Tout ici n’est qu’artifice et Corinne De Battista restitue la mémoire telle une construction visuelle. Chasser le naturel ? L’émotion surgit irrésistiblement : palpable, indicible, dans l’évanescence du souvenir, dans ces visages inconnus que l’on peut pourtant nommer. Et si le photographe constitue bien le point de départ, la référence, le sujet même de ce travail, il n’est question ici, on ne le répétera jamais assez, que de peinture. Avec détermination Corinne De Battista persiste et signe. La toile constitue bien le cadre singulier où les souvenirs se restituent comme autant de fragments d’un temps recomposé.

Robert Bonaccorsi