laetitia schlesser-gamelin

Laetitia Schlesser-Gamelin vit et travaille à Levallois-Perret
Elle est diplômée de l’Ecole de formation des professeurs d’Art Martenot.

La vie, advenue

 Cela échappe aux mots. Car la matière, parfois, est ineffable. Car son pouvoir excède la seule langue. Henri Michaux le savait, lui qui encra sa feuille de formes indéfinies, et indéfinissables, comme pour combattre l’inanité du verbe et du verbiage. Exprimer l’indicible, en somme. Ce que Laetitia Schlesser-Gamelin, dans le creux de la langue, sur la surface de la toile, parvient à faire avec science, et patience, certaine que la perception visuelle peut suppléer le rotor de la syntaxe.

Que de nombreuses toiles travaillent la forme circulaire – celle de l’œil –, cela n’est sans doute pas un hasard. Hommage, donc, à la faculté de voir, au plaisir rétinien, à ce globe qui, à l’image du monde, accueille des îles colorées, des continents noirs, des déserts syncopés. Cet œil, cette sphère au pouvoir magnétique qui, chez Claude-Nicolas Ledoux ou Odilon Redon, est l’origine du monde, l’orbe du mystère. Or, pour déchiffrer une toile de Laetitia Schlesser-Gamelin, il convient précisément d’affronter un mystère, une énigme prométhéenne – comme Œdipe devant le Sphinx ou Narcisse devant son image.

Cela échappe aux mots. Il faut, pour comprendre ces cercles diaprés, ces chutes opalescentes, renoncer au naturalisme de la langue, à sa capacité de re-présentation. Comme devant ces tests de Rorschach, il faut déjouer le signe et accéder à l’imagination, atteindre ce sens ondoyant qui, par ricochet, s’effleure, affleure. Que voit-on, derrière ces gouttes agglomérées, ces virgules acryliques ? Quel univers des formes nous ouvre ces explorations que l’on croirait microscopiques, comme si notre œil, encore lui, scrutait cellules et amibes ?

Laetitia Schlesser-Gamelin n’ignore pas le pouvoir de c de la matière. Elle sait que la matière figée, loin d’être une nature morte, est une vie qui perdure. Still life, dit l’anglais. Du reste, n’entrevoit-on pas, devant ces couleurs étrangement inertes, devant ces larmes qui ne coulent pas, ces éclatements qui ne tonnent pas, ces effusions qui ne grondent pas, qu’ici pulse encore la sève ? Rien n’est éteint. Juste en suspens. Le sens est emprisonné dans une résine pigmentée, devenue lave picturale. La toile ressemble à une construction volcanique où la vie aurait sédimenté – intense, abstraite, éclose. Une vie advenue.

Cela échappe aux mots. Il s’agit d’observer attentivement l’œuvre pour mesurer combien – et l’on songe à Théo van Doesburg ou Bernard Frize – elle est orchestrée savamment. Tout est affaire de point et de contrepoint, de silence et d’altération. La touche est musicale, évidemment. Cette célébration de la matérialité et cette eurythmie de la forme évoquent Paul Klee et Niele Toroni, un Rotorelief de Marcel Duchamp ou un Environnement spatial de Lucio Fontana. Partitions colorées que ces œuvres de Laetitia Schlesser-Gamelin où le sens, mieux, les sens paraissent avoir cristallisé. Ainsi la fascination optique qu’elles exercent, à l’image de ces kaléidoscopes de notre enfance qui, capables de combinaisons et d’harmonies insoupçonnées, polarisaient nos rêves devenus aujourd’hui adultes.

 

Colin Lemoine
Journaliste et critique d’art