Marie Rancillac

Je voulais être une grosse légume de l’art, mais comme j’aime les natures mortes et les accumulations, j’ai choisi au lieu de représenter des femmes nues de prendre modèles dans mon catalogue Vilmorin.

En effet quoi de plus attirant pour le sculpteur que les courbes de la courge, le galbe des poires, la rotondité d’un navet et autres inépuisables séductions anthropomorphiques.

Alors je façonne des rubans de terre, du grès chamotté, que je monte, assemble, bottelle, emballe puis mets en scène : l’important c’est le volume, la sculpture comme une offrande, une générosité, un amusement aussi de faire se rencontrer toutes ces formes avantageuses, les confronter dans un jeu de modelage.

Marie Rancillac


Marie Rancillac, membre d’une famille d’artistes, a travaillé autour de la notion de fluide :

ses créations de bijoux en relèvent. En effet, elle avait déjà observé auprès de son père, Jean-Jules

Chasse-Pot, le travail du papier-mâché dont la pâte s’utilise comme de la terre de modelage et/ou

dont la pulpe se déroule et s’enroule en rubans. Rappelons-nous les sculptures en papier-mâché que

réalise Jean Dubuffet dans les années 60.

Son premier mode expressif est le paquet, l’emballage: ce sont des boîtes ou des cartons

fermés, voire empilés, en trompe l'œil. Elle commence par opter pour des teintes mezzo voce,

assourdies, mates et douces, quasi suis generis, pour réaliser ses Emballages : patiemment, « au

ruban » [au colombin plat], montent les volumes … Puis sont apparus les fruits et les légumes, le

végétal, en pièce isolée, en duo ou groupées. Son admiration pour la peinture flamande et pour les

représentations de « nature morte » (terrible assemblage de mots !), dont l’emblématique still life

française, Dessert de gaufrettes de Lubin Baugin, a cantonné la perception de ses œuvres à ce

genre. Selon nous, elle propose des Vanités, même si les marqueurs classiques de ce dernier genre

n’apparaissent pas au premier coup d’œil (crâne, sablier, bulle de savon) et si les frontières sont

complexes entre les deux interprétations. Sa conquête d’une réalité illusionniste finit par occulter

aux yeux de l’observateur pressé, la compréhension des sens cachés, peut-être à son insu d’ailleurs,

par pudeur aussi. Steve Jobs n’a-t-il pas choisi une pomme comme symbole d’un crâne, d’une tête

pensante ?? La fuite du temps, la corruption de la matière & l’éphémère ne reposent-elles pas dans

ces végétaux périssables ? Cette « poétique de l’éphémère » pourrait-elle être une protestation en les

mettant en scène -pour longtemps- grâce à la céramique?

La représentation de végétaux humbles et insignifiants, simples, quotidiens, à la portée de

chacun, modelés par ajouts de colombins-rubans, requiert notre attention. Ne vous fiez surtout pas

à la douceur apparente de ces épidermes mats, duveteux, lisses ou tavelés des fruits : ils enserrent

un espace clos où murissent des natures pas si mortes que çà. Dans son Panthéon, figurent, entre

autres admirations, Brancusi, Pompon, les Lalanne, en somme la simplification des formes pour la

tension des volumes. Ces derniers n’enserrent-ils un espace creux, un enfermement d’espace, une

clôture sur « quelque chose » : ses secrets, des cadeaux, un vertige, sa colère ? Ses assemblages et

ses dialogues racontent des histoires, des souvenirs et des moments, où nous sentons frémir une

colère et une protestation contenues, voire une violence, bien maîtrisées par des mises en scène à la

Giorgio Morandi. L’espace est géométrisé (géo-maîtrisé) par un lent travail de maturation,

accompagné en parallèle par de vigoureuses encres polychromes sur des tirages numériques, mis en

couleurs avec une sensibilité fine, presqu’altière, qu'amplifie une sorte de toucher particulier.

D’autres font des pots, Marie Rancillac propose des peaux et quel soin apporté aux épidermes de

ses végétaux! Nous pensons à ses poires, fruits assez merveilleux pour avoir été collectionnés au

XVIIe siècle, notamment la fameuse poire « Bon-Chrétien d’hiver ».

Sensualité ? Une collusion du sensible et du sensuel ? Pour Marie Rancillac, pas d’artillerie

lourde, une raie aperçue ici, des creux ombrés, des rondeurs pleines, une distanciation pleine

d’humour aussi, un prétexte à admirer le réalisme des objets et des événements quotidiens. Nous

espérons que le spectateur, même amateur, ressentira, dans une contemplation introspective, la

réflexion sur le silence, la simplicité esthétique et peut-être la distanciation face à l’émiettement de

l’existence du monde contemporain.

Anne LAJOIX 2016